Sur TikTok, une tendance nommée skinnytok attire particulièrement les jeunes femmes en quête de motivation, de routines bien-être ou d’astuces lifestyle…
Au départ, tout semble inoffensif : une petite voix douce t’encourage à faire ton lit, bosser tes devoirs, ranger ta chambre, ta cuisine, etc. Un soupçon de « clean girl aesthetic », deux-trois citations Pinterest et tu te dis « tiens, c’est sympa ce petit boost de motivation« .
Mais très vite, la to-do list bienveillante se transforme en plan d’attaque pour perdre du poids. Le hashtag ? #skinnytok. Et au bout de quelques scrolls, tu tombes sur des perles comme :
« Ne te récompense pas avec de la nourriture, tu n’es pas un chien. » ou « Les gens parlent de toi dans ton dos ? Parfait. En maigrissant, ton dos sera moins large. » ou bien encore : »Devenir skinny c’est pouvoir mettre tout ce qu’on veut sans paraître vulgaire »
Bienvenue dans un monde où la faim est une qualité, et la maigreur, une identité.
skinnytok : la version 2025 des blogs pro-ana
J’ai personnellement travaillé sur le phénomène Pro-Ana dans les années 2004-2006, à l’époque où ces forums faisaient déjà l’apologie de la maigreur extrême. J’avais mené des recherches sur le sujet, et parlé dans les médias. Aujourd’hui, 20 ans après , nous y revoilà : même discours, même endroit (le Net), mais relooké années 2020 : exit les pro anas mais bienvenue dans le #skinnytok.
En effet le phénomène skinnytok n’est pas sans rappeler ces communautés pro-ana des années 2000, où l’anorexie était valorisée comme un mode de vie, une discipline, voire une « esthétique ». Les personnes se voulant « pro ana », « maigres et fières de l’être » aboraient même un bracelet rouge en signe de ralliement au mouvement !
Aujourd’hui, le discours est plus subtil, mais l’idéologie reste la même : la restriction alimentaire et la maigreur deviennent un signe de réussite, de contrôle, voire de supériorité. On peut lire et entendre : « Ne mange pas jusqu’à ce que ton ventre gargouille« , « Quand ton ventre gargouille, c’est que tu maigris« . On y trouve même des recommandations de régimes passant sous le seuil des 1200 calories voire 800 par jour, une limite pourtant dangereuse pour la santé.
Et le plus pervers, c’est que cette propagande se fait désormais en fond musical, avec de jolies vidéos lumineuses, des filtres flatteurs, et un ton faussement motivant, inspirant, valorisant… L’image est choisie, le texte tendancieux, le maquillage parfait, limite leur routine healthy donnerait presque envie… alors qu’en réalité, il ne l’est pas du tout. Et c’est même tout l’inverse : c’est affamant, dégradant, culpabilisant et …grossophobe.
Les messages sont clairs : « Mange peu pour rester mince. Mange beaucoup et tu deviendras grosse. » Ou encore cette phrase tristement célèbre de Kate Moss, ressortie des tiroirs TikTok : « Nothing tastes as good as skinny feels. » (« Rien n’a aussi bon goût que la sensation de maigreur. »).
skinnytok : motivation ou manipulation ?
Sur le papier, ça ressemble à des conseils pour « devenir la meilleure version de toi-même ». Mais à bien y regarder, ces mantras relèvent plutôt de la manipulation émotionnelle et de la culpabilisation déguisée :
- On t’encourage à sauter les repas voire ne plus manger
- À mériter ta nourriture (« Ne te récompense pas avec de la bouffe« )
- Et à te méfier de ton propre corps (« Manger, c’est pour les faibles« )
- A faire du sport, même si tu es fatigée : « Tu préféres transpirer au sport ou transpirer parce que t’es grosse ? »
- A jeûner (Si ton ventre gargouille c’est qu’il t’applaudit et te dit Bravo!)
Certaines influenceuses proposent même des « règles skinny » à suivre, façon serment militaire : pas de cheat meals, pas de fringales, pas d’excuses.
A la manière tristement célèbre de Yolanda Hadid, la reine mère des Almond Mum : « Mâche, compte combien tu mâches et fais le double ».
Et les commentaires qui affluent , de jeunes personnes comme celle ci d’une jeune fille de 14 ans : » Merci de m’aider à continuer à me priver.J’aimerai tellement faire 40 kg ou moins, aidez moi à atteindre mon rêve« , Sylvia P.
skinnytok : une esthétique qui enjolive la souffrance
Ce qui rend le tout encore plus vicieux, c’est que le discours s’habille de douceur : couleurs neutres, ambiance zen, corps allongés sur des tapis de pilates, voix-off bienveillantes style « coach développement personnel »…. Mais derrière les fonds roses et les paillettes, les citations inspirantes, c’est une apologie de la faim et de l’anorexie mentale qu’on vend.
Ce n’est plus du lifestyle, c’est de l’auto-surveillance et de l’anorexie déguisées en self-care.
Qui sont les plus exposé·es par les skinnytok?
Les ados, évidemment. Surtout les filles, surtout celles qui cherchent un peu de contrôle ou de réconfort. Mais aussi toute personne qui ont une faible estime d’eux-même, ou connaissent une période de fragilité (suite à un divorve, la pré-ménopause, etc.)
TikTok, via son algorithme très zélé, te propose du skinnytok même si tu n’as rien demandé, simplement parce que tu as liké une vidéo « routine du matin » ou « motivation sport ».
Et là, la machine s’emballe. Parce que plus tu regardes, plus on t’en montre.
Jusqu’à ce que tu en viennes à croire que ne pas manger est un objectif, et que ton corps est une machine donc qui a besoin de peu pour vivre.
Pour ma part, spécialiste des TCA, je pense que ce type de contenus enferme les jeunes dans un cercle vicieux, nourri par des standards corporels inatteignables et dangereux à court, moyen et long terme.
Heureusement, certaines voix résistent !
Certaines créatrices de contenus — souvent anciennes victimes de TCA — dénoncent cette tendance avec courage.
Elles nomment les dérives, décryptent les mécanismes, rappellent que manger n’est pas honteux et que notre corps n’est pas censé être un champ de bataille.
Mais soyons lucides : leurs voix, même puissantes, peinent à rivaliser avec le vacarme de cette motivation toxique.
En conclusion,pour moi, le skinnytok, c’est juste la culture de l’anorexie qui revient en douce, avec un filtre et des citations pseudo-inspirantes. Pire c’est le retour de la recherche de la maigreur à n’importe quel prix, accompagnée d’un bon zeste de grossophobie, même pas déguisé!
En un mot : une version lissée toujours aussi toxique des vieux discours pro-ana qu’on croyait enterrés.
Selon les #skinnytok si tu n’arrives pas à « tenir », si tu manges, si tu lâches prise, le message est clair : c’est que tu n’as pas assez de volonté, que tu es nulle. Mais tu sais, je sais, nous savons que c’est un piège. Manger est normal, nécessaire et ne devrait en aucune manière t’être interdit ou être culpabilisant. C’est un besoin primaire , au même titre que dormir, respirer et boire… Bien sûr que tu peux te retenir, la question c’est combien de temps? et pour quoi faire? Es-tu sûre qu’il n’y a pas un autre moyen de te faire du bien que de te critiquer et de t’affamer ?…
Car je crois que si tu es tombée sur les skinnytok c’était pour te sentir mieux, mais spoiler de Karen (!) : ça sera pas / jamais avec ce genre de contenus !