Cancer et alimentation : quand le corps et l’esprit ne parlent plus la même langue
Un diagnostic de cancer, c’est un choc. Une onde de choc qui bouleverse tout : le corps, l’esprit… et l’alimentation. Le lien entre cancer et alimentation est complexe : certains perdent l’appétit, d’autres développent des aversions alimentaires ou, au contraire, se réfugient dans la nourriture. Entre les effets secondaires des traitements et l’impact psychologique, manger peut devenir une véritable épreuve.
Parmi mes patient(e)s, certains et certaines voient leur appétit disparaître du jour au lendemain, incapables d’avaler quoi que ce soit. D’autres, au contraire, se réfugient dans la nourriture pour tenter d’apaiser l’anxiété et la peur. Et puis, il y a les personnes qui développent un besoin de tout contrôler, se mettant à surveiller leur alimentation de manière obsessionnelle, convaincues que chaque bouchée pourrait influencer le cours de leur maladie.
Alors me direz-vous, comment faire face à ces bouleversements sans ajouter de la culpabilité à une situation déjà éprouvante ?
Les Effets du Cancer sur la Relation à l’Alimentation
💬 Perte d’appétit et aversions alimentaires
Le stress et l’anxiété liés au diagnostic de cancer peuvent littéralement « couper l’appétit ». Quand le cerveau est en mode « urgence », l’alimentation passe souvent au second plan. Ce phénomène est amplifié par les effets secondaires des traitements : nausées, modification du goût, inconfort digestif… « Manger est devenu une corvée » m’a dit une jour Marie M., atteinte d’un cancer du sein.
Conséquences ?
- Certains aliments qui étaient appréciés deviennent insupportables (l’odeur du café ou de la viande peut par exemple provoquer des hauts-le-cœur, c’est le cas pour Pierre pourtant « viandard » comme il l’aime à dire).
- Les repas sautés ou insuffisants peuvent entraîner une perte de poids involontaire, fragilisant encore plus le corps.
- L’acte de manger peut devenir une source de stress, surtout si l’entourage insiste trop (« Tu dois manger pour tenir le coup !« ).
💡 Que faire ?
- Privilégier les aliments bien tolérés et adaptés à l’état du moment. Parfois, un simple bouillon ou une compote passent mieux qu’un repas complet.
- Fractionner les repas pour éviter les grosses quantités d’un coup.
- Ne pas culpabiliser si certains jours l’appétit est absent.
💬 Hyperphagie et besoin de réconfort
Face à l’angoisse d’un diagnostic de cancer, il est naturel de chercher du réconfort… et la nourriture est souvent la première option. Manger déclenche la production de dopamine et d’endorphines, ces hormones du bien-être qui aident (temporairement) à calmer le stress. La nourriture devient une auto-médication, un anxiolytique facile à prendre, efficace. Notre cuisine devient notre pharmacie.
Mais ce mécanisme de compensation peut parfois se transformer en hyperphagie :
- Une consommation excessive et incontrôlée de nourriture, souvent riche en sucre et en gras, pour apaiser l’anxiété.
- Une sensation de soulagement immédiate suivie de culpabilité.
- Un cercle vicieux où la nourriture devient la seule réponse émotionnelle au stress.
💡 Que faire ?
- Remettre du plaisir dans l’alimentation sans se juger : il n’y a pas de mal à manger une glace ou un gâteau si cela apaise sur le moment.
- Explorer d’autres formes de réconfort : respiration, musique, activités apaisantes, échanges avec un proche…
- Se rappeler que les émotions n’ont pas besoin d’être « noyées » ou « contrôlées », elles peuvent simplement être vécues.
💬 Orthorexie post-diagnostic : Quand la peur du cancer entraîne une obsession alimentaire
Après un diagnostic, il est courant de vouloir « reprendre le contrôle » sur sa santé. Pour certains, cela passe par un changement radical d’alimentation, souvent inspiré des innombrables conseils trouvés sur Internet.
Mais, et Pauline ne me contredira pas je pense, cette quête du « parfait régime anti-cancer » peut rapidement devenir anxiogène et obsessionnelle :
- Éviction stricte de certains aliments par peur qu’ils favorisent la maladie.
- Surveillance excessive des étiquettes et des ingrédients.
- Stress et culpabilité dès qu’un aliment « interdit » est consommé.
Si bien manger est important pour la santé, il ne faut pas tomber dans l’excès inverse, où l’alimentation devient une nouvelle source d’angoisse.
💡 Que faire ?
- Faire la différence entre une alimentation équilibrée et une alimentation obsessionnelle.
- Ne pas s’imposer un régime ultra-strict qui enlève tout plaisir alimentaire.
- Se rappeler qu’aucun aliment, pris isolément, ne guérit ni ne cause le cancer.
Quand les Traitements S’en Mêlent
💊 Chimiothérapie et perte de goût
Ls traitements contre le cancer modifient souvent la perception des saveurs :
- Certains aliments prennent un goût métallique.
- D’autres deviennent insipides ou trop amers.
- Les odeurs peuvent provoquer des nausées.
💡 Que faire ?
- Expérimenter de nouvelles textures et épices pour réveiller le palais.
- Manger des aliments froids ou tièdes si les odeurs chaudes sont trop fortes.
💊 Fatigue et manque d’énergie pour cuisiner
Quand le corps est épuisé par la maladie et les traitements, cuisiner devient une tâche insurmontable. Résultat ? On se rabat sur des solutions rapides (ou on ne mange pas du tout).
💡 Que faire ?
- Anticiper et préparer des plats à l’avance.
- Accepter l’aide de proches pour les repas.
- Opter pour des aliments faciles à manger (yaourts, purées, soupes…).
💊 Troubles digestifs et inconfort
Entre les ballonnements, les reflux gastriques et les nausées, le système digestif est mis à rude épreuve.
💡 Que faire ?
- Éviter les aliments trop gras, trop épicés ou difficiles à digérer.
- Manger en petites quantités et bien s’hydrater.
- Tester des probiotiques ou des infusions douces pour apaiser l’estomac.
Comment Retrouver un Équilibre Sans Pression ?
✔ Écouter son corps, sans forcer : L’appétit varie d’un jour à l’autre. Ce n’est pas grave si certains jours on mange moins, l’important est de compenser sur la durée.
✔ Se donner du réconfort sans culpabilité : Si un aliment fait du bien moralement, il a sa place. La bienveillance envers soi-même est aussi importante que la nutrition.
✔ Se détacher des injonctions alimentaires : Les « super-aliments » miracles et les régimes ultra-contrôlés ne sont pas la solution. Manger doit rester un plaisir, même en période de maladie.
Conclusion
Le cancer bouleverse profondément la relation à l’alimentation, et il n’y a pas de « bonne » ou « mauvaise » façon de réagir. L’essentiel est de trouver un équilibre qui convient à chacun, sans pression ni culpabilité. Que ce soit en retrouvant progressivement l’appétit, en adaptant son alimentation aux traitements ou en accueillant ses émotions sans se juger, chaque pas compte.
Se nourrir, ce n’est pas seulement une question de santé physique, c’est aussi une façon de prendre soin de soi dans un moment difficile.
Petit clin d’oeil à mes patients atteints de cette fichue maladie, ils se reconnaîtront dans cet article, malgré l’anonymat ! Je vous envoie plein d’ondes positives !